Charulata, réalisé par Satyajit Ray, est un film au titre éponyme qui nous annonce que la femme sera au centre de l’intrigue. En effet, le réalisateur peut déjà créer un horizon d’attente pour le spectateur avec le choix du titre de son oeuvre. En choisissant le prénom de son personnage principal, il renforce sa position au sein du récit, nous informe que toute l’histoire tournera autour de cette femme. Nous allons nous attarder sur les premières minutes du film qui en disent long sur la caractérisation des personnages et les grands thèmes abordés par le réalisateur.
L'oeuvre s'ouvre donc sur Charulata en train de broder. Pendant plus de sept minutes, elle erre dans sa maison, nous n’avons quasiment pas de dialogues, nous sommes dans l’expectative. Dans l’attente d’un événement, du déclenchement d’une action. À l’image de notre personnage éponyme, nous attendons, sans savoir trop quoi. Cette cristallisation de l’attente mélange l’espace et le temps et permet de caractériser notre personnage. 
Charulata est donc une femme dont l’ennui semble être le quotidien, dont l’attente semble liée à l’idée d’emprisonnement. En effet, notre personnage est souvent sur-cadré que ce soit par les arches ou les vitres de la bibliothèque, par exemple. Au début de la séquence, alors qu’elle se trouve dans le couloir, nous pouvons apercevoir derrière elle, une fenêtre aux volets fermés sur l’horizon, qui empêche toute perspective de lumière et de liberté. Autre petit détail, une cage enferme deux oiseaux qui semblent empaillés ; ne serait-ce pas là la métaphore subtile de la condition de Charulata ? Une femme enfermée, servant presque d’objet de décoration ?
Le décor joue également un rôle important dans la sensation d’enfermement ; les pièces sont encombrées de meubles, de tapisseries à motif, toute l’ambiance est lourde, surchargée, surannée. Même le sari de la femme est fait de lignes qui la découpe, qui renvoient plus à des barreaux de prison qu’à la légèreté. 
Un fort contraste est donc créé entre l’intérieur de la maison et l’extérieur. Le peu de sons que nous entendons, proviennent de l’extérieur et déclenchent une scène de voyeurisme. Alors que l’intérieur est sombre et sans bruits, l’extérieur a une lumière vive et regorge d’éléments vivants. À travers ses jumelles comme à travers un objectif de caméra, Charulata observe sans être vue. De même que dans
Le Silence d’Ingmar Bergman, c’est l’ennui du personnage, aidé du bruit extérieur, qui lui offre l’opportunité d’observer le monde, à la manière d’un spectateur de cinéma. 

Par ailleurs, pendant toute cette séquence, nous avons une impression de temps réel, alors même que nous n’avons pas un plan-séquence. C’est sans rappeler le film de De Palma, Les incorruptibles, dans lequel le personnage a une position de surplomb, en haut d’un escalier. C’est un observateur qui maîtrise son environnement par le regard, tel un démiurge. Son point de vue est ici le nôtre, comme pour Charulata. 
D’un autre côté, la caméra de Satyajit Ray est extrêmement mobile, elle suit notre personnage qui passe par de nombreux seuils, comme si son parcours à travers la maison était un parcours initiatique. Les mouvements de Charulata déclenchent les mouvements de caméra, cette dernière est à son service ; s’en suivra le regard caméra final qui la fera bondir en arrière lors d’un dé-zoom très rapide. Ce dernier plan sur Charulata nous renvoie à notre place de spectateur, nous étions nous aussi des voyeurs et nous avons été pris sur le fait, démasqués par cette femme.
Ce qui est fort avec cette mise en scène lente et silencieuse, c’est qu’elle arrive à nous présenter les grands thèmes du film. Tout d’abord, il y a un certain amour de l’art qui transparaît ; la maison regorge de tableaux, de sculptures, Charulata chantonne et s’essaye au piano, mais le plus important de tous reste le livre. Le premier gros plan du film est, en effet, réservé à la couverture du livre que choisit notre personnage. Le réalisateur nous montre que la littérature aura certainement une grande importance dans son oeuvre. Si Charulata nous est décrite comme une personne aimant la lecture, le seul personnage que nous verrons également dans la maison sera, lui aussi, en train de lire. Et pourtant, il annonce peut-être le deuxième thème du film : celui de la solitude de Charulata qui reste invisible aux yeux de cet homme, trop absorbé dans son livre pour la remarquer. La femme semble donc être un objet de décoration sans réelle importance, une tapisserie sans vie, dans cette maison. Face à l’extérieur que nous avons décrit plus tôt, nous pouvons donc déceler une volonté d’émancipation de cette femme, peut-être via l’art, pour sortir de cette attente, de cet ennui.
Dans toute cette première séquence, le spectateur peut faire l’expérience de l’ennui. En effet, il semble ne pas se passer pas grand chose. Et pourtant, c’est lorsque que le spectateur s’ennuie le plus qu’il est forcé d’observer le cadre de l’image, ses composantes, ses détails. Satyajit Ray, préfère nous donner des indices visuels quant à la suite de son film plutôt que de nous les exposer via des dialogues. En sept minutes, nous comprenons la situation de Charulata de manière plus vive et plus profonde, en partageant un instant de sa vie d’attente, que si on nous l’avait expliqué à travers une ligne de dialogue. C’est ce silence qui nous raconte une histoire. C’est cet ennui, cette attente, qui font surgir l’émotion. ​​​​​​​
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