
Ancien étudiant à la Fémis, Tommaso Usberti réalise le court métrage Deux égarés sont morts pour conclure ses études. Cette histoire tragique de Romeo et Juliette à la campagne conquit le Festival de Cannes lors de sa sélection en 2017 puisque le film remporte le troisième prix de la Cinéfondation (section qui récompense les meilleurs films étudiants du monde entier).
Dès les premières secondes, le film impose une temporalité quasi contemplative : un long plan extrêmement large dans lequel les deux personnages principaux descendent une colline. Pour le moment, nous sommes loin d’eux et nous n’entendons que le vent et les oiseaux. Un instant plus tard, nous découvrons leurs visages en gros plan et nous sommes au plus près de leurs corps qui s’aiment. Des mains qui se caressent, des bras qui s’entourent ; on entend leur respiration sous leurs corps enlacés, le bruit de leurs vêtements qui se frôlent. Comme c’est si bon de se sentir, on recommence. Le temps est suspendu sous leurs caresses et l’arrivée du père en colère anéantit la douceur du moment. La lutte entre les deux hommes terminée, le père gisant sur le sol, sa fille demande au garçon s’il l’emmènera danser. Surprenant et peut-être à la limite du ridicule, cette phrase amorce sans doute un mystère bien plus grand qui planera sur tout le film.

Le mystère est tissé notamment dans la composition en trois temps du film. Le conte d’un amour tragique commence et termine l’œuvre, enfermant une enquête presque policière au cœur d’une famille déchirée par la jalousie et les conflits de terres entre voisins. Les personnages se questionnent et nous cherchons les réponses avec eux : que s’est-il passé ? pourquoi s’aime-t-on, se déteste-t-on ? Cette partie d’enquête permettant aux langues de se libérer et au contexte de se clarifier se brise lorsque le film rebascule du côté du conte et abandonne l’information au profit de la poésie.
C’est bien là que le film prend toute sa force : lorsque le mystère cède la place à la poésie, qu’on ne se demande plus pourquoi, qu’on n’essaie plus de clarifier les choses puisque les choses disent d’elles-mêmes et que les formes créent du sens en dehors de la narration. C’est alors qu’on est séduit par la danse sautillante du garçon (Piero Usberti) et par les grands yeux rêveurs de la fille (Luàna Bajrami). Les personnages sont impénétrables, le monde dans lequel ils sont l’est tout autant. Pourquoi ne suivent-ils pas les hippies qui leur promettent la nouvelle vie heureuse ; pourquoi choisissent-ils de se tuer en se laissant tomber de la barque qui accueillait quelques secondes plus tôt leurs caresses les plus douces? Nous ne le saurons jamais et c’est tant mieux. Tout s’échappe dans les secrets que l’on se dit dans l’oreille, dans la pluie qui survient après les ondes sur l’eau. Le monde est véritablement incarné par les formes et le bruit qu’elles laissent et l’intemporalité du film nous saisit dans la pure poésie de deux êtres qui s’aiment et qui se tuent, emportant leurs secrets et leur amour dans un lieu inaccessible, un lieu bien à eux.
