Qu’est-ce que le cinéma ?

Cette question a toujours fait fantasmer les penseurs du septième art. À partir des années 1950, la France connaît une forte révolution artistique et sociale dans sa manière de penser et de créer le cinéma.
Alors qu’André Bazin initie les prémices de ce que sera la nouvelle vague, Gilles Deleuze tente de montrer le sens de l’imagerie cinématographique sur le spectateur.

Mais l’image ne représente rien, en fin de compte il n’y a rien à voir, mais tout à écouter. C’est en tout cas ce que pense le théoricien et réalisateur qui nous intéresse aujourd’hui, Guy Debord. Dans une époque où la théorie de la catharsis, telle que formulé par Aristote dans sa Poétique ou encore par Bertolt Brecht, fait très largement foi dans la théorie globale cinématographique française, Guy Debord en prend le contre-pied et émet l'hypothèse que le cinéma tel que nous le connaissons ne libère pas les passions du public mais au contraire abrutit le spectateur qui se voit guider sans réflexion par les images diffusées sur grand écran.

C’est en 1952, que Debord réalise son premier long-métrage qu’il pense comme une projection expérimentale directe de sa pensée philosophique. Hurlement en faveur du marquis de Sade sort sous la bannière du mouvement Lettriste dirigé par Isidore Isou qui avait déjà fait scandale au festival de Cannes 1951 pour son œuvre Traité de bave et d’éternité de par sa théorie du montage ciselant consistant en une disjonction entre le son et l’image. Le fait est que Debord voit en ce mouvement une véritable mise en œuvre concrète de sa théorie. Si l’image abrutie véritablement le spectateur, alors celui-ci ne se reposera pas dessus. Le cinéaste pousse ce principe encore plus loin en se passant tout bonnement d’image. Oui, Hurlement en faveur du marquis de Sade est un film sans image, ou plutôt une simple toile blanche. Debord explique qu’une bombe aurait détruit la partie visuelle de son film et que le son s’est retrouvé détérioré, ne laissant que des décombres dans une œuvre nihiliste. Avec ce premier film choc, le cinéaste introduit l'idée de terrorisme cinématographique. Le cinéma meurt, le cinéma doit mourir, le film tel que nous le conceptualisons ne doit pas exister. Et sous couvert d’ouvrir un débat, Debord coupe court à toutes réponses contraires : il n'y a pas de film. Le cinéma est mort. Il ne peut plus y avoir de film. Passons, si vous voulez, au débat.

Hurlement en faveur du marquis de Sade


La suite de la relation amour/haine, qui unit le philosophe au cinéma, prend un air presque irrationnel et atypique. Se réclamant toujours autant favorable à la mort du cinéma, celui-ci l’utilise pourtant pour ses expressions personnelles et ses théories sociales, mais garde en tête une idée de détournement du sens initial des images projetées au profit du son de sa propre voix qui compose la majeure partie de ses œuvres. Ainsi, Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps (1959) et Critique de la séparation (1961) marquent une distanciation avec le mouvement Lettriste. Debord explore les préceptes politiques anarchistes et communistes au travers d’images du peuple sans plus de mise en contexte, tout en sortant de son rôle de voix extra-diégétique puisque commentant parfois ses propres erreurs de mise en scène laissées volontairement au montage. Le cinéaste aime aussi à s’attarder sur des inconnus sans importances, qu’il décrit sans que cela n’ait d’impact explicatif sur l’image et le récit qui se déroule sous nos yeux, avant de revenir à son sujet initial. Selon Debord, il faut renverser le cinéma, mais aussi la société dans son ensemble, puisqu'ils ont les mêmes buts politique et esthétique.

Mais comment ne pas parler de La société du spectacle (1973) ? Véritable film somme de l’auteur dans lequel il s’attelle à expliquer directement sa théorie anti-cinéma en l’étendant à la société dans son intégralité. Selon lui, nous sommes tous dans une passivité orchestrée par la société dans laquelle nous vivons, le cinéma de par sa visibilité étant l’arme la plus puissante de cette force invisible pour nous maintenir dans cette inactivité destructrice. Lorsque nous allons au cinéma, nous sommes donc complétement passifs et sans réflexion…

Que l’on soit d’accord ou pas avec les théories de Guy Debord, il ne fait aucun doute que celui-ci a eu et a encore aujourd’hui une influence forte sur la manière de concevoir le cinéma d’auteur français après 1950. Non affilié à la Nouvelle vague, qui prend tous les feux des projecteurs à l’époque, il n’est pas rare de malheureusement oublier les expérimentations réalisées par Guy Debord tout au long de sa grande carrière de réalisateur. 
Il est et restera à jamais, le cinéaste qui détestait le cinéma mais qui malgré tout, a marqué l’histoire de cet art.

La société du spectacle 

Back to Top