
À la sortie du film en 2018, Jacques Mandelbaum écrit dans Le Monde : « Autant dire qu’il y aura quelque chose comme une indicible joie à malgré tout retrouver la pollution et la promiscuité de la ville au sortir de la salle. » Hier soir, High Life a raisonné entre les murs d’un appartement dont les fenêtres ne donnent pas sur les étoiles mais sur une ville en suspens. Difficile en effet de ne pas être touché par ce que les personnages endurent, par leur solitude, leur folie et leur démesure lorsque nous-mêmes spectateurs nous vivons incarcérés et expérimentons la vie à travers nos écrans.
Ces personnages sont des criminels envoyés dans l’espace pour servir la science. Si leur destination est un trou noir, objet fascinant de destruction, ils doivent pendant la durée du voyage se laisser être les cobayes reproducteurs du médecin du vaisseau. Il y a donc dans ce que nous propose le film, des symboles forts qui s’entrechoquent violemment et déroutent le spectateur par leur caractère antinomique : la vie et la mort, le désir et la violence, l’infiniment grand et l’infiniment petit… Faire des liens entre les contradictions pour signifier l’absurdité de notre existence peut paraître simple et pompeux, mais si le film de Claire Denis est aussi poignant, c’est parce qu’il arrive à toucher la profondeur de ses idées par les sens et la présence des corps.

Le récit peine donc à se faire une place, car plus qu’il ne donne à comprendre, le film donne surtout à ressentir. On est avalé tout entier par la temporalité à la fois planante et effrayante, résultat d’un montage qui expérimente sur la durée, les ellipses, le passé et le retour au présent, mais également des images de rêves ou de souvenirs énigmatiques. En plus d’une temporalité distordue, le film parvient à nous faire ressentir la présence des corps qui agissent et nous surprennent dans leur capacité à se tenir quasi immobiles avant de commettre les pires atrocités avec une énergie folle. Les corps nous apparaissent aussi parce que la caméra s’attarde sur ce qu’ils sécrètent (le sperme, le sang, la bave, le lait maternel…). L’existence de ces corps vivants, mais voués à mourir, nous attrape et resserre son étau effrayant sur notre propre idée de nos corps existants.
Pourtant, aussi sombre que puisse paraître la majeure partie du film, celle-ci est imbriquée entre un début et une fin pleins de douceur et peut-être d’espoir. Les gazouillis du bébé, ses premiers pas et l’amour inconditionnel de son père ouvrent le film, puis la dimension quasi spirituelle des corps qui s’aiment au-delà du trou noir met un terme à l’histoire. Le rayon vert qui illumine leur visage se transforme en lumière blanche, engloutissant l’écran noir et irradiant nos yeux de son éclat.
