Imaginez que ce soit la fin. La fin dans son sens le plus absolu, la fin brutale de notre monde, de ce qu’on a connu, de ce qu’on a aimé. Que feriez-vous ? Iriez-vous au cinéma ?
C’est peut-être bien ce que ferait Jonathan Nossiter, le réalisateur de Last Words.
Last Words n’est malheureusement pas parfait : longueurs, moments d’incompréhension, et tous les petits défauts qui viennent entacher un film qui aurait pu trôner parmi les grands. Toutefois, ce qui fait la force de cette fable cinématographique, c’est son concept, l’originalité de ce qui nous est montré.
Bienvenue en 2084 ; à l’heure où le monde tel que nous le connaissons n’existe plus que dans les mémoires des vieilles personnes. Le réchauffement climatique a provoqué l’effondrement de notre civilisation et la population s’est vue décimée par un virus affectant les voies respiratoires… Tiens, tiens, tiens…
C’est dans ce contexte de post-effondrement civilisationnel que nous suivrons les dernières péripéties de l’humanité. Guidé par les pérégrinations du jeune Kal dans les vestiges de l’Europe, jusqu’à son émouvante rencontre avec le cinéma dans les sous-sols de la cinémathèque de Bologne. On comprend très rapidement que le personnage est trop jeune pour avoir connu l’époque « civilisée ». Fasciné par ces images mouvantes et encouragé par Shakespeare, le gardien autoproclamé des trésors de la cinémathèque, Kal part muni d’une caméra recueillir les histoires des derniers membres de notre espèce.
Au festival de Deauville, Jonathan Nossiter citait Primo Levi, « Raconter les douleurs, c’est déjà les dépasser ». D’une certaine manière, c’est ce que fait Kal en recueillant les histoires des membres du camp de réfugiés. Cette mise en abîme du cinéma permet de capter la réalité de l’extinction beaucoup plus frontalement. Et on ne peut s’empêcher de penser qu’au travers de ces fragments filmés, Kal réinvente à sa manière le Néo-réalisme. En mélangeant ainsi sa destinée à celle du cinéma, en transcendant sa vie, la quête du cinéma se confond avec la quête de l’être. Ou est-ce l’inverse ?
Last Words n’est pas un énième film post-apocalyptique qui ferait le portrait d’une nouvelle dystopie, c’est un récit résolument optimiste (autant que peut l’être un film sur la fin du monde). Jonathan Nossiter propose une description assez unique de ce que pourraient être les derniers instants de l’humanité en fermant la porte à la peur et à la barbarie. Nous assistons à la description d’une utopie dans laquelle le cinéma et les films existeront toujours après nous. Une utopie dans laquelle les hommes cherchent à s’entraider plutôt qu’à s’entre-tuer. Last Words, c’est la résilience d’une humanité face à la plus obscure des peurs, non pas celle de la mort, mais une peur bien plus insidieuse et terrifiante, celle de l’oubli, du néant.
Cet acte de faire des films, de témoigner, de réinventer l’art en fonction des besoins spirituels d’une époque, n’est rien d’autre pour le réalisateur qu’une forme de purification de notre espèce, de repentance par l’art. Le cinéma nous rend moins dégueulasses en nourrissant notre âme. Cette assimilation du cinéma à une nourriture pour l’âme n’est pas anodine pour ce réalisateur attaché à l’agriculture. Depuis plusieurs années, Jonathan Nossiter est dévoué à la sauvegarde du patrimoine agricole en protégeant et expérimentant à partir d’anciennes semences de légumes. 
« Quand j’ai commencé à voir comment il travaille la construction d’un potager, j’avais l’impression de voir Cassavetes à l’œuvre. » Dit-il en évoquant sa rencontre avec son collaborateur agricole Massimiliano Petrini.
Il est certain que Nossiter met sur un pied d’égalité l’acte de création cinématographique et l’acte de création agricole. Le travail respectueux de notre environnement pour notre subsistance et la création artistique sont les ingrédients essentiels à la survie de notre espèce. Cependant, l’agriculture à ce côté arte povera qui, selon lui, fait défaut au cinéma actuel. S’adonner au travail de la terre pourrait devenir un engagement total.​​​​​​​
La fin du monde de Last Words nous rappelle l’absolue nécessité du cinéma et des arts, et résonne étrangement avec le contexte de sa sortie (même si ce n’est pas encore l’apocalypse. En tout cas, pas au moment où j’écris ces lignes). Crions donc notre amour de la culture et soyons unis malgré l’adversité !
Ce film joue le rôle d’un appel à la vie et à la création, la création jusqu’au bout, la création jusqu’à la fin, en nous rappelant qu’après cette crise, il sera de notre devoir de nous battre pour la culture ! Parce qu’elle peut atteindre l’éternité et le film le montre très joliment !
En ponctuant le montage de son récit avec les extraits d’anciennes œuvres cinématographiques, Jonathan Nossiter nous rappelle que chaque image imprimée sur une pellicule a une espérance de vie bien supérieure à celle d’un homme. Des films de Buster Keaton à ceux des Monty Python, les réfugiés vont redécouvrir la puissance évocatrice d’un film. On en viendrait même à envier ces personnages qui revivent la naissance de cet art et la surprise que le cinéma suscitait autrefois. Le cinéma devient alors un rituel festif. C’est un moment de réunion hors du temps et de la fatalité, une forme de communion devant ces fragments de mémoire d’un monde figé sur pellicule. Le cinéma se transcende alors lui-même. Il n’est plus une industrie, il n’est peut-être même plus un art, mais est devenu le témoignage de la vie. Il incarne désormais l’humanité et la quintessence de notre civilisation.
Nos derniers mots seront-ils des images ? Et ces images survivront-elles au temps comme l’espèrent Nossiter et ses personnages ? Les pellicules entreposées par Kal dans ce coffre, au fond de cette grotte seront-elles un jour découvertes ? Quelqu’un réouvrira-t-il un jour cette boîte de Pandore ?
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