
Présenté à Cannes en 2019, Matthias et Maxime est le huitième long-métrage de Xavier Dolan. Après son expérience américaine qui a partagé la critique et de nombreux fans (Ma vie avec Jonh F. Donovan), Dolan a voulu retrouver une atmosphère plus intimiste avec une histoire à plus petite échelle, afin de mieux déployer la complexité des sentiments profonds. On retrouve alors le cinéaste comme on l’a connu et comme on a appris à l’aimer : au plus près des sentiments paradoxaux de ses personnages et de leur aliénation face à l’amour qu’ils portent.
Le film se construit autour d’une bande de copains dont les mimiques et les dialogues nous frappent par leur naturel en prise avec notre temps. Ce sont des copains d’aujourd’hui, qui se vannent en faisant des références d’hier (pop culture omniprésente dans le cinéma de Dolan, notamment dans ses musiques) et qui se moquent de la nouvelle génération. Les scènes de groupes sont dynamisées par cette caméra qui capte l’énergie des corps. Ces corps qui se renvoient constamment la balle, jusqu’à l’utilisation de « snap zoom » pour que la caméra elle-même dynamise le champ. Grâce à cette caméra, on est dedans, on fait partie de la bande et les scènes sont d’autant plus prenantes, les personnages d’autant plus attachants.
Pourtant, Dolan nous mène au cœur de son sujet lorsque nous quittons cette bande et que nous nous plongeons dans l’intimité de Matthias et Maxime. Ces deux-là s’aiment bien au-delà de la bande, ils partagent quelque chose que personne d’autre ne partage, quelque chose de bien à eux. On pense que c’est de l’amour, on en est même persuadé. Si Matthias est déstabilisé et au bord de la crise de nerf, ce n’est pas réellement parce que sa sexualité et son milieu de vie bourgeois et normatif est remis en cause. S’il souffre, c’est parce que Maxime s’en va à l’autre bout du monde et qu’il l’imagine absent. Si dans le film il était question principalement de coming-out, Matthias et Maxime auraient eu de nombreuses occasions de découvrir leur sexualité (le personnage du jeune avocat américain est donc une fausse piste). Le film prend toute sa force lorsqu’on a compris que la problématique se trouve bien au-delà d’une question sociale, bien au-delà d’une question sexuelle, qu'elle se trouve dans les sentiments mêmes, dans leur amour, dans quelque chose au-delà du corps qui se traduit dans ce film, par la temporalité.

Le temps est étiré, Maxime est censé partir, mais on ne le voit jamais partir. On redoute que Matthias s’aliène au point de ne jamais lui dire au revoir, de ne jamais accepter l’amour si déstabilisant qu’il porte en lui. Le baiser qu’ils se donnent pour le court-métrage de la jeune sœur est ellipsé ou hors champ. A la place, Dolan filme le vent dans une balançoire, le vent dans les feuilles. Combien de temps filme-t-il Matthias nager dans le lac ? Assez pour que l’émotion nous permette de toucher ce que le personnage ressent et avec suffisamment de pudeur pour que le sentiment reste intact et ne se brise pas en mille morceaux. Si la scène dans le garage est filmée sous une lumière chirurgicale, c’est parce que la pudeur des personnages est atteinte. Leur amour se construit et trouve sa force dans le temps long, jamais dans la précipitation.
C’est donc un très beau geste de la part de Dolan que de filmer un amour qui prend toute sa force dans la distance. Les personnages en souffrent, mais c’est comme cela qu’ils s’aiment. Il leur suffit peut-être d’un regard, même si une rue les sépare. Le film se termine ainsi.
