
Il y a dans Miss Chazelle une tendresse presque indéfinissable. Thomas Vernay filme des adolescents aussi vrais que nature, dans leur langage vulgaire et sans complexe, dans leurs attitudes grossières et provocatrices. Les personnages errent rageusement plus qu’ils n’évoluent autour de Clara, qui vient de perdre le concours de Miss Chazelle-sur-Lyon. En quelques minutes les personnages sont dressés sans jugement, puisque l’on éprouve rapidement beaucoup de sympathie pour ces jeunes qui ne semblent avoir connu que leurs campagnes où les rivalités entre clans éclatent à la lumière de concours de beauté perdus.
C’est sans doute à cette tension latente que le spectateur se rattache, ce qu’il y a de plus palpable dans ce court-métrage, car, si le visage de Clara, interprétée par Megan Northam, est sans cesse capté en gros plan, il ne laisse que peu de choses transparaître. Y lit-on de la déception, de l’envie, de la colère, de la haine pour celle qui a remporté le prix de Miss Chazelle-sur-Lyon à sa place ? Ce que pense Clara nous échappe et nous sommes aussi perdus que ses proches. C’est là toute la force de Miss Chazelle, cette volonté de capter ses émotions, mais de ne d’abord nous donner d’elle qu’un visage énigmatique (impression renforcée par le fait que Clara ne décroche que peu de mots dans la première scène alors que ses amis pestent contre sa concurrente victorieuse), et puis, quand la nuit tombe, après le bal, le visage de Clara, à l’abri des regards de ceux qui nous paraissaient être ses proches, s’ouvre et s’illumine enfin.

Le court-métrage prend alors des inflexions shakespeariennes qui tiennent du Romeo et Juliette dans ce village perdu au milieu de l’été. Et c’est là que la réalisation est des plus réussies, dans ce renouvellement du drame, cette réécriture moderne où les filles et les garçons jouent des rôles, ceux qu’on leur a inculqués, restent à leur place dans ce microcosme, échantillon dans lequel toute la société se donne, avec ses normes sociétales, dans tout ce qu’elle a de plus rigide. Mais, quand vient la nuit, les filles se libèrent des apparences et vivent, respirent, naturellement, loin des regards des juges prescripteurs, devant la caméra qui capte leurs sourires, leurs rires et leurs envies. Et, au petit matin, la violence de la nuit chaude s’efface avec l’aurore, laisse de nouveau leur place aux illusions qui se déposent, comme la rosée, sur les épaules compréhensives du copain de Clara.
