Le principal problème de la nouvelle vague japonaise est son manque de manifeste officiel. Si tous les cinéastes (en tout cas les plus importants) se sont plus ou moins rencontrés, il est difficile de véritablement les unir sous une même bannière. Depuis longtemps, les critiques nippons appelaient à un nouveau mouvement (atarashii chôryû nami, ce qui signifie nouvelle vague) mais tous ces grands réalisateurs sont plus ou moins partis en ordre de combat dispersé, la cause à un système de majors et de contrats ne laissant que peu de marge de manœuvre aux auteurs pour se regrouper.
On compte aujourd’hui quatre mico-mouvements distincts composant ce que l’on nomme la nouvelle vague japonaise. Le premier, et le plus ancien, se nomme le Taiyozoku qui signifie tribu du soleil. Né au milieu des années 1950, il est emmené par les réalisateurs Kô Nakahira et Takumi Furukawa, et par l’acteur Yujiro Ishihara, le Taiyozoku a pour particularité de n’adapter que les romans de Shintaro Ishihara, le père de Yujiro. Ce micro-mouvement est souvent laissez de côté par les historiens du cinéma, et pour cause, la volonté première du Taiyozoku était purement économique et non artistique et était avant toute chose l’œuvre des majors que sont la Nikkatsu et la Daeï souhaitant conquérir le marché des jeunes d’après-guerre. Il est cependant indéniable que les œuvres et auteurs attachés ont influencés, voir même guidé les grands auteurs de la nouvelle vague japonaise que seront Oshima, Imamura ou Wakamatsu pour ne citer qu’eux. L’influence du Taiyozoku ne se limite pas aux seules frontières du cinéma nippon puis-ce que le film Passion Juvénile (1956) de Kô Nakahira, influencera grandement François Truffaut et la nouvelle vague française qui couve depuis déjà quelques années.
C’est cependant au tout début des années 1960 que la nouvelle vague japonaise prend un essor considérable grâce à l’émergence de trois micro-mouvements que sont le collectif VAN, les Shichinin, et les modernistes. Le collectif VAN n’était composé que de deux personnalités officielles, les réalisateurs Masao Adachi et Koji Wakamatsu. Auteurs de presque cent films à eux seul, VAN se concentre principalement sur le scandale, sur ce qui peut ou doit créer de la division au sein d’un débat sociétal. Sexe, violence, politique anarchiste assumé, le collectif se distingue aussi par une déstructuration de la narration et des principes académiques liés au cinéma ce qui a fortement contribué à développer l’expérimental japonais.
Les Shichinin ou nouvelle vague Shôchiku par rapport au studio qui les unissait originellement, est surement le micro-mouvement le plus connu. En effet, lorsque nous abordons la nouvelle vague japonaise en profane, il est fréquent de citer en premier lieu Oshima, Shinoda et Yoshida, bien souvent à raison. Les œuvres qui composent la filmographie des Shichinin sont bien souvent plus grand public, plus accessibles. La politique est un facteur important du processus de création du groupe, mais ce qui fait véritablement son ADN est le suivit quasi-biblique des préceptes philosophiques et cinématographiques de Masakazu Nakai, équivalent de André Bazin chez nous. Nakai imagine ce que les réalisateurs nomment le Shutaisei ou l’art de remettre le scénario au centre de l’image. On imagine donc le récit comme un élément à part entière de l’image. Il remet en cause une hiérarchie dépassée, selon laquelle l’image n’est qu’un outil de fabrication de l’histoire. Le personnage, sa psychologie, doivent faire partie intégrante de la réflexion du récit cinématographique. L’image et le récit doivent redevenir équitables, l’un ne doit pas exister sans l’autre. Ainsi, la caméra devient écran et acteur majeur du récit et de son déroulement. Elle ne diffuse pas l’action, elle la vit. La caméra devient donc subjective et non plus objective, elle n’est plus spectatrice, mais créatrice.
Pour finir avec ces explications, les modernistes de Shōhei Imamura ont une vision de ce que doit être le cinéma japonais plus pragmatique. La création contemporaine ne devrait concerner que les choses vécus par le réalisateur lui-même ou les sujets de sociétés ayant cours actuellement. Le genre du Pinku-eiga, ou film érotique, et couramment utilisé par les modernistes afin de prendre comme personnages principaux des prostitués ou autres personnages délaissés par la société afin de servir leurs propos. À l’époque, les modernistes faisaient figure de chefs de file, bien aidé par Kô Nakahira, ancien du Taiyozoku qui rejoint Imamura et confère au mouvement un certain prestige auprès des critiques internationales de l’époque.
Ceci étant dit, qu’est-ce véritablement la nouvelle vague japonaise ? Pouvons-nous la définir ?
Le terme même de nouvelle vague japonaise ne vient pas du Japon, mais de journalistes et critiques français ayant voulu absolument rassembler tous ces courants en un seul. Il apparaît aujourd’hui que les Cahiers du cinéma sont responsables, un peu malgré eux, de cette erreur.
Ceci dit, trois définitions tentent de nous expliquer ce mouvement. La première, et la plus ancienne, est celle du critique Japonais Iwasaki Akira dans la revue Eiga hyôron en 1960. Il est le premier à employer le terme nouvelle vague. Seul problème, Akira ne fait référence qu'au mouvement Shichinin et parle donc de nouvelle vague Shôchiku.
“Le mouvement des jeunes gens du monde du cinéma japonais, incroyablement novateur et actif, qu’on appelle   « Nouvelle vague Shôchiku » ou « Nouvelle vague japonaise », est quoi qu’on en dise la principale question de cette année. Sur ce point, l’année 1960 porte un sens énorme du point de vue de l’histoire du cinéma japonais.” Iwasaki Akira, Eiga hyôron, 1960
Si le critique ne retient que ce courant, c'est en partie explicable par les énormes succès que sont Contes cruels de la jeunesse, Bon à rien, et Le lac asséché de Oshima, Yoshida, et Shinoda durant cette année 1960. Dans la suite de sa critique, Akira évoque un mouvement fondé sur les questions sociales de la jeunesse de son époque sans apporter de nuance. Or, ces trois films ne démarrent en rien une tendance, le Seishun-eiga, ou film de jeunesse, étant déjà bien abouti au milieu des années 50 avec le Taiyozoku, genre que les modernistes continueront d’exploiter aussi. En 1988, David Dresser explique dans son livre Introduction au cinéma de la nouvelle vague japonaise que selon lui le point de départ est le film Une ville d'amour et d'espoir de Oshima en 1959, et que tout film adoptant dans son sillage une posture ouvertement politique dans un sens général ou dirigé vers un sujet spécifique se détachant des codes conventionnels du cinéma, faisait partie de la nouvelle vague japonaise.
“Sous le patronage de Oshima, la « Nouvelle vague Shôchiku » figure sans hésitation comme la première impulsion d’un « mouvement d’avant-garde », qui se serait « préoccupé de créer un contenu et une forme filmique à même de révéler les contradictions au cœur de la société japonaise et d’isoler les valeurs toujours plus matérialistes de la culture et ses alliances impérialistes » sans oublier « la rébellion contre, ou tout du moins la transformation ». Mouvement donc que cette nouvelle vague dont le corpus se compose des films produits et/ou distribués dans le sillage d’Une ville d’amour et d’espoir de Oshima, films qui adoptent une posture ouvertement politique dans un sens général ou dirigé vers un sujet spécifique, utilisant une forme délibérément disjonctive comparée aux normes filmiques antérieures.” David Dresser, Introduction au cinéma de la nouvelle vague japonaise, 1988
Bien que simpliste, cette définition semble être la plus recevable et est, en tout cas, la réponse majoritairement approuvée aujourd’hui.
Mais, en 2008, Isolde Standish donne une définition plus complète dans son livre Politics, porn and protest et inclut le Taiyozoku dans son texte, remontant donc en 1956.
“A émergé, à la fin des années 50, un groupe dissident de cinéastes d’avant-garde ayant créé un contre-cinéma qui s’adressait à un public nouvellement constitué, et politiquement conscient. Bien qu’il n’y eût pas de manifeste en bonne et due forme et que les différents cinéastes clés de la période aient mené leurs expérimentations selon des styles visuels très divers, il est possible d’identifier la position éthique qui motivait nombre de ces cinéastes. Une conscience générationnelle fondée sur l’opposition politique était liée intimement au mouvements étudiants des années 1959 et 1960. De même, ils partageaient une même expérience, en tant que première génération de cinéastes d’après-guerre au Japon à être artistiquement étouffée par le système commercial des studios qui avait émergé avec d’autant plus de vigueur depuis les « purges rouges » de la fin des années 40.” Isolde Standish, Politics, porn and protest, 2008
Si Oshima est effectivement très important pour la nouvelle vague japonaise, la définition de Dresser semble bancale en raison de l'émergence de personnalités telles qu’Imamura ou Wakamatsu en même temps qu’Oshima.
Standish a le mérite d'être plus précis et ajoute une dimension générationnelle que l'histoire semble confirmer malgré le manque de source et d’écrit.
Contrairement à la nouvelle vague française ou au nouvel Hollywood, la nouvelle vague japonaise fait donc figure d’exception dans le paysage du renouveau cinématographique des années 1960-1970. Nous pourrions même nous laisser dire que la nouvelle vague japonaise n’existe pas, en tout cas, pas au singulier. Il nous faudrait plutôt la définir au pluriel et accepter que ces micro-mouvements ne se soient jamais rassemblés en un seul courant majeur. Cette nouvelle vague semble être inventée de toute pièce par les penseurs européens de l’époque découvrant un nouveau cinéma.
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