Portrait de Patrick Dewaere, © Martino75 

Dewaere, emblème du film Coup de tête, enchaînait les coups de gueule. Il n’était pas comme cul et chemise avec la presse. Les journalistes l’agaçaient ; contre les critiques de bon ton, il se rebellait. La première fois que je l’ai vu à l’écran dans Un mauvais fils, c’était un coup de cœur. Jamais quelqu’un n’avait autant percé l’écran à mes yeux. Jeune étudiante dans un univers oxfordien, cinéphile qui n’avait pas froid aux yeux, je me jetais dans l’œuvre de Fassbinder, puis de Sautet, et sur la route, j’ai fait la rencontre de Patrick Dewaere… C’était comme si on m’avait poignardé, renversé le cœur. Quand j’entends Dewaere, c’est une plaie qui se réouvre, une interpellation profonde qui rejaillit. La douceur amère de Patrick Dewaere m’a marquée, quelque chose chez lui m’apaisait et m’irritait à la fois. Il avait ce talent de transmettre un tiraillement, des oxymores sentimentaux, un clair-obscur existentiel. ​​​​​​​
Affiche du film Un mauvais fils de Claude Sautet, 1980
Je l’ai retrouvé, des années après cette première rencontre, dans Les Valseuses, film culte qui le réunit à l’écran avec Miou-Miou, Gérard Depardieu, Isabelle Huppert… Dans ce film, j’ai découvert le sourire en coin de Patrick Dewaere, un rire qui déstabilise et intrigue. Ce rire, on le retrouve dans des interviews, et on se demande tantôt ce qu’il veut dire, ce qu’il cache... Dissimule-t-il une enfance effacée, des écorchures affectives ? 
Dewaere s’appelait anciennement Morin, et c’est au tournant de l’adolescence vers l’âge adulte qu’il comprend pourquoi il est si différent de sa fratrie : celui qu’il croyait être son père ne l’est pas, il est un bâtard inavoué depuis toutes ces années… Pour combler ou du moins outrepasser ce vide, ce mensonge, il se donne corps et âme au cinéma. Il offre ses déchirures à l’écran, il met sa peau à disposition de personnages qu’il va incarner consciencieusement. Quand il tourne un meurtre dans le film Série Noire, il en sort en disant : j’ai tué quelqu’un, vous vous rendez compte ? Même si c’est joué, pour lui, c’est vécu. Au sens d’Alain Delon, qui différenciait un acteur d’un comédien en disant qu’un acteur vit ses rôles alors qu’un comédien les interprète et les joue, Patrick Dewaere était un acteur jusqu'aux tripes. Ses rôles, il les absorbait. Ses rôles, peut-être, le transformaient…
Entier et doté d’une sensibilité exacerbée, il transportait les personnages qu’il incarnait, il les menait au bout de leur potentiel. Dans Série Noire, il vient frapper sa tête plusieurs fois contre le capot de la voiture d’une violence foudroyante alors que le scénario n’avait pas prévu une telle ampleur de jeu. Dewaere dépasse le jeu et le je pour se fondre dans ses personnages et les interpréter avec justesse, tantôt sans mesure. À l’écran, les blessures semblent être des outils, peut-être comme dans la vie... Pour les surmonter, faudrait-il les utiliser, et créer ? Albert Camus disait : créer, c’est vivre deux fois. Dans le cas de Dewaere, jouer, c’est vivre une multitude, une infinité de fois ! ​​​​​​​

Interprétation d'une scène du film Série Noire d'Alain Corneau avec Patrick Dewaere et Marie Trintignant, © Martino75

Patrick Dewaere, c’est un écorché vif hors norme qui manquait peut-être de confiance et d’amour, et qui a probablement mis fin à ses jours par défaut d’avoir été suffisamment compris, entendu, aimé... Ses écorchures étaient tellement à vif qu’il semblait perpétuellement valser entre la vie et la mort. C’était un homme passionné, déchaîné, un artiste inné. Tantôt il avait un regard de chien battu, tantôt d’homme enjoué. 
Au final, on ne saura jamais vraiment qui a été Patrick dans son âme brisée : un enfant délaissé, un adulte égaré, un artiste négligé ? Dewaere n’a jamais reçu de prix à Cannes, il n’a pas tellement été reconnu pour son talent, de son vivant. Comme un père absent, le cinéma l’a tantôt ignoré, et puis est venu le pleurer… 
De là où il est, Patrick Dewaere nous jette un clin d’œil et un sourire en coin pour nous interpeller toujours, nous provoquer encore, et nous faire rêver au long cours. 
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