Pauline à la plage se présente de prime abord comme un objet simple. La fin de l’été en Normandie accueille les sentiments amoureux sur ses plages et dans ses maisons de vacances, parfois aussi dans ses chambres à couchers.Comme il en a l’habitude, Rohmer travaille avec une base simple pour que tout soit clair pour le spectateur et nous ressortons du film avec des souvenirs de vacances. Nous nous souvenons très clairement de la plage, de l’endroit où l’on posait sa serviette jusqu’à l’escalier en béton qui relie le sable à la route. La demeure de Marion et celle de Henri, leurs salons, leurs chambres et la petite table dans le jardin ; tout nous est familier. L’espace nous apparaît si clairement puisque nous suivons les personnages aller et venir, déambuler dans tous les recoins des quelques décors à leur disposition. En s’attachant à filmer les déplacements, Rohmer parvient pour notre plus grand plaisir et ceux des personnages à révéler ce que l’œil désire le plus, à travers la fenêtre d’une chambre : des bouts de corps nu, conséquence des passions qui se jouent entre les êtres. Le geste n’est jamais innocent et l’enchaînement des situations le prouve : ni Pauline ni Pierre n’est là par hasard lorsqu’ils découvrent ce qu’ils n’étaient pas censés voir, ils sont là parce qu’ils le désirent et nous le désirons avec eux. C’est alors un plaisir immense que de découvrir un instant secret dans la familiarité des décors.
Plus qu’un film où l’espace est identifiable, Pauline à la plage est un film dans lequel les personnages n’ont pas de secrets pour le spectateur. Rohmer nous donne le privilège d’être omniscients, d’avoir toujours un temps d’avance sur le personnage que nous suivons. Nous savons ce que Marion risque lorsqu’elle entre chez Henri et c’est avec joie que nous voyons les personnages pris par la panique se démener et aller jusqu’au bout du mensonge et du quiproquo. Le spectateur est roi, il a le pouvoir d’écouter les hommes parler des femmes, puis de savoir ce que les femmes disent des hommes. Les personnages sont comme des livres ouverts, ils ne cachent pas leurs sentiments et leurs pensées, c’est d’ailleurs un plaisir pour eux de parler sans arrêt et pour nous de les écouter. Puisque chez Rohmer le dialogue est un plaisir, il rythme la scène et présente les désirs de chaque personnage. Et pourtant, même si les cœurs s’ouvrent sans arrêt, les passions ne sont jamais réciproques.
La clarté évidente des personnages et de l’espace, des enjeux et des désirs aurait pu théoriquement rendre le film trop simple et son discours trop évident. Mais il existe bel et bien un mystère qui plane au-dessus de l’œuvre et qui la fait exister en dehors de son support. Si l’on reproche à Rohmer que ses personnages parlent trop, c’est parce que nous n’avons pas réellement tenté les écouter. Car, là, se trouve le mystère du film, dans cette nécessité que les personnages éprouvent à toujours transformer en mots ce qui leur arrive et ce qu’ils ressentent. Pourquoi si les choses sont si simples, faut-il toujours que nous les compliquions ? Dans la dernière séquence, Marion dit à Pauline ce qu’elle pense de la situation parce qu’elle ressent un vrai besoin de faire le point. Les personnages de Rohmer auront toujours quelque chose à redire, et si nous aimons les écouter c’est parce qu’ils aiment par-dessus tout parler, dire qu’ils existent et ce qu’ils ressentent ; ils aiment se le dire entre eux, et peut-être aussi à nous.​​​​​​​
Le film est à retrouver gratuitement sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/023522-000-A/pauline-a-la-plage/
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