
Lorsque vous étiez enfant, il y a de fortes chances pour que vous ayez participé à ce sempiternel débat qui agitait les cours de récréation : plutôt rugby ou football ?
Si cette question peut avec le recul vous sembler affreusement dérisoire, il s’agissait à l’époque de choisir un clan et votre réponse était prise très au sérieux. En tant que bon journaliste, je me suis replongé dans mes souvenirs d’enfance pour vous chers lecteurs, afin de vous dégoter un sujet sans prise de tête, qui vous fera peut-être sourire et qui vous apprendra sûrement certaines choses sur les rapports entretenus entre le cinéma et ces deux mastodontes du sport d’équipe.
Entendons-nous bien, malgré le fait que j’ai mon propre avis sur la bataille rugby contre football, je m’efforcerai d’être le plus neutre possible dans cet article qui désignera un vainqueur final après tant d’années de luttes acharnées (je ne dirai qu’une seule chose : vive la forme ovale). Si nous, simples mortels, ne pouvons élir un gagnant, le cinéma s’en chargera.
Comment allons-nous procéder ? Mettons au point notre méthode de calcul. Nous irons à l’essentiel. Quatre manches, un point par manche, le sport qui aura le plus de point gagne le match. Commençons sans plus tarder.
Première manche : influence dans l’histoire du cinéma
Pour cette première manche, le football rafle la mise et haut la main. Si je ne comprendrai sûrement jamais l’intérêt de regarder des personnes courir après un ballon pour le planter dans des filets, il semble que, dès le début du cinéma de fiction, le public était au rendez-vous. En effet, le premier film mettant en scène une histoire entièrement axée sur le ballon rond sort en 1911 sous le subtil titre de Harry the footballeur réalisé par le cinéaste britannique Lewin Fitzhamon. Celui-ci parle donc de Harry, capitaine de son équipe enlevé juste avant un match décisif par les joueurs de l’équipe adverse. Le film fera l’objet de nombreuses copies non-officielles comme A footballeur’s honour (1914) ou encore The rival captains (1916) qui a la particularité d’être le premier film britannique réalisé par une femme, ici Ethyle Batley.
En ce qui concerne malheureusement le plus beau sport du monde, le rugby sans chauvinisme évidemment, il est très difficile de trouver trace d’une œuvre sur ce sport de manière officielle et encore visible avant 1963 et le film britannique de Lindsay Anderson Le prix d’un homme.

Harry the footballeur (1911) de Lewin Fitzhamon
Deuxième manche : La qualité globale des œuvres
Égalisation tonitruante de l’ovalie. Si les adaptations du rugby au cinéma ont commencé plus tardivement, force est de constater que la qualité globale des œuvres proposées est largement supérieure à celles traitant de football.
En effet, le rugby devient vite un symbole social pour les réalisateurs s’appropriant ce sport. De par son histoire de discipline proche du peuple et des classes sociales populaires, inclusive et à l’état d’esprit beaucoup plus communautariste que son homologue, le ballon ovale va alors servir à aborder des personnages brisés et des récits aussi bien fictionnels que réels sur l’importance du rugby d’un point de vu personnel, historique, politique, social, tout en gardant et en mettant fortement en avant le caractère familial de ce sport. Si Invictus (2009) de Clint Eastwood est l’exemple le plus célèbre, citons Mercenaire (2016) de Sacha Wolff, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes, qui traite de la difficulté d’un jeune néo-calédonien à se faire une place dans le monde rugbystique métropolitain. Un film à la dimension sociale forte puisque celui-ci évoque crûment le business que devient le rugby moderne, bien moins humain qu’il y a quelques années. La liste est longue et nous ne pourrons pas nous attarder dessus bien longtemps mais citons Le fils à Joe (2011) de Philippe Guillard, le film argentin El clan (2015) de Pablo Trapero, Le film d’animation présenté à Annecy Beau joueur (2019) de Delphine Gleize, Le prix d’un homme (1963) de Lindsay Anderson, récompensé du prix du meilleur acteur au festival de Cannes, ou encore le film italien Il terzo tempo (2013) présenté à la Mostra de Venise. Et nous ne venons que d’effleurer la surface.

Le prix d’un homme (1963) de Lindsay Anderson
Pour le football, le constat est beaucoup plus mitigé. Bien que représenté au cinéma depuis plus longtemps, il est finalement rare qu’un film mettant en scène le football arrive à être crédible aux yeux des spectateurs, aussi bien en termes de spectacle que de portée sociale. Difficile de mettre en scène une équipe entière alors que le foot est régulièrement cité comme étant le sport collectif le plus individualiste.
Quelques œuvres sympathiques se démarquent tout de même avec Comme des garçons (2018) de Julien Hallard, Une belle équipe (2020) de Mohamed Hamidi qui ont pour point commun d’évoquer le machisme dont sont victimes les femmes dans le football. Didier (1997) de Alain Chabat même si on peut se poser la question de la véritable pertinence du football comme enjeux dans ce film. À l’inverse, on trouve de véritables fiascos et films honteux pour l’image de ce sport tels que United passion (2014) de Frédéric Auburtin qui n’est ni plus ni moins qu’un film de propagande commandé par la FIFA et élevant en héros l’ancien président Sepp Blatter, l’un des plus grands escrocs ayant officié dans le football. Puis comment ne pas citer la trilogie Goal ! qui a fait faire des cauchemars de honte à tous les grands fans du ballon rond de par ses clichés affligeants tout au long de son récit. Finalement seuls Ken Loach, Jean-Pierre Mocky et Wim Wenders semblent faire office d’exception avec Looking for Eric (2009), My name is Joe (1998), À mort l’arbitre (1984) et L’angoisse du gardien de but au moment du penalty (1972).

Mercenaire (2016) de Sacha Wolff
Troisième manche : La quantité et l’universalité
Le football reprend logiquement l’avantage. Grâce à son avance historique, on ne compte pas moins de près de 200 films en rapport de près ou de loin avec le football. Si ces films sont en majorité britanniques, français et américains, on trouve aussi des productions italiennes (Au nom du peuple italien, 1971, de Dino Risi), hongroises (Régi idök focija, 1973, de Pal Sandor), iraniennes (Le passager, 1974, de Abbas Kiarostami), israéliennes (Cup Final, 1991, de Eran Riklis) ou encore maliennes (Le Ballon d’Or, 1993, de Cheik Doukoure) entre autres.
En ce qui concerne le rugby, il est déjà difficile de compter une quarantaine d’œuvres sans racler les fonds de tiroir. De plus, celles-ci manquent de diversités de créations, ainsi mis à part les productions françaises, britanniques et américaines l’offre paraît bien vide. Il sera tout de même possible de trouver des films italien et argentin (ceux que nous avons déjà cités) et quelques obscurs films australien, japonais, indien et néo-zélandais.
Quatrième manche : Les documentaires
C’est sûrement la catégorie où le match était le plus serré, mais le rugby égalise de peu. Si dans les deux cas, les documentaires (je précise, de cinéma) sont globalement de grandes qualités, le monde du football a tendance à se contenter de parler de la vie de ses idoles comme Pelé, Maradona, Messi, ou encore Ronaldo sans prendre le risque de changer d’axe et de sujet.
Le rugby s’attarde aussi bien évidemment sur ses stars comme Richie McCaw mais tend aussi vers des documentaires beaucoup plus audacieux et ambitieux comme XV L’esprit du rugby réalisé en 2016 par Pierre Deschamps, qui donne la parole à diverses personnes de toutes classes sociales et professions sur l’influence du rugby dans leur vie. De son côté, The ground we won de Christopher Pryor (2015) s’attarde sur l’importance de ce sport dans une communauté reculée de Nouvelle-Zélande. Nous pouvons aussi citer Jonah Lomu, back to South Africa (2015) qui nous présente un Lomu malade qui revient rendre visite aux joueurs sud-africains ayant remportés la coupe du monde de 1995 contre la Nouvelle-Zélande.
Finalement…nous sommes sur une égalité parfaite. Il faut croire que même le cinéma ne peut mettre fin à cette rivalité entre rugby et football. Finalement, il ne vous reste plus qu’à choisir votre camp en votre âme et conscience, même si tout le monde sera d’accord pour dire que le foot c’est sympa mais le rugby c’est mieux.

Comme des garçons (2018) de Julien Hallard